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Rencontre avec Tim Owen, responsable des éditions pour EAB

Ce mois-ci Esperanto Aktiv’ vous présente un entretien avec Tim Owen, directeur de EAB (Esperanto Association of Great Britain), qui nous a parlé de son activité dans le domaine de l’édition. L’association a récemment publié de nombreux livres, notamment des livres pour enfants, et a diversifé sa production avec la publication d’œuvres romanesques, traduites ou écrites en espéranto.

Espéranto-aktiv : Pouvez-vous nous présenter brièvement votre association et ses objectifs ?

Tim Owen : Je suis directeur de l’Esperanto Association of Great Britain, l’association nationale des espérantistes de mon pays. Nous sommes souvent appelés à tort la British Esperanto Association : ce matin même, j’ai reçu un e-mail dans lequel nous nous appelions ainsi. EAB et BEA, cependant, ne sont pas la même chose.

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La première association nationale d’espérantistes ici a été fondée à Londres en 1904 : il s’agit de la pionnière British Esperanto Association, qui a été active jusqu’au milieu des années 90, alors que notre association a été fondée en 1976, en tant qu’association caritative enregistrée. Ma théorie est que BEA connaissait des problèmes financiers à l’époque et avait l’intention de faire don de son siège londonien à EAB pour une vente ultérieure, car une association caritative n’aurait pas à payer les taxes après-vente auxquelles sont soumises les entreprises à but lucratif. Les deux associations ont travaillé côte à côte pendant vingt ans, jusqu’à ce qu’un BEA, à court d’argent, fasse don de sa maison à EAB pour une vente ultérieure hors taxes. Les membres du BEA ont été acceptés par l’EAB, et le BEA a ensuite cessé son activité. Il ne reste que l’EAB.
En tant qu’association caritative enregistrée, nous n’avons pas la liberté d’agir à notre guise, contrairement à d’autres associations. Nous devons viser à ce que le public en Grande-Bretagne bénéficie de nos activités, sinon l’organisme officiel des associations caritatives nous désapprouvera : il a le droit de retirer nos ressources financières pour les transférer à d’autres associations caritatives, s’il considère que nous n’agissons pas délibérément au profit du public britannique. C’est le cœur de notre façon de faire : nous proposons des cours gratuits (par correspondance et en classe), vendons des livres à des prix bas (souvent sans bénéfices), préservons le patrimoine culturel de l’espéranto dans une bibliothèque, etc.

Espéranto-Aktiv’ : Comment avez-vous découvert l’espéranto et qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager dans cette association ?

Tim Owen : La France est en fait à blâmer pour ma conversion à l’espéranto (rire) !
Enfant, je suis tombé sur le concept en feuilletant une encyclopédie pour enfants en cinq volumes qui appartenait probablement à mon père, et dont nous avons hérité après la mort de son père en 1986. Le seul article dont je me souvienne avait pour titre « Quelle langue a créé Ludovic Zamenhof ? » J’ai très envie de retrouver cette collection pour relire l’article que j’adore, mais mon père n’a aucun souvenir de la série.
Une quinzaine d’années plus tard j’ai vécu à Toulouse, déjà pour la deuxième fois, après dix mois d’études en 1999-2000. Sur la place principale, il y avait une exposition sur les langues. Je pensais être très bon dans cette matière, car je maîtrisais déjà le français et j’avais étudié un peu l’italien : ayant grandi dans un milieu monolingue, je ne m’étais pas encore rendu compte à l’époque que mes compétences linguistiques de l’époque n’étaient en rien remarquables. Alors j’ai fait le tour. Au bout d’un moment, il ne restait plus qu’un stand : le plus important pour ma vie future ! J’ai donc parlé avec les militants locaux, dont Georges Kersaudy, qui m’a informé que la « meilleure » des cinquante langues qu’il connaît est l’espéranto. J’ai acheté son livre, Langues sans frontières, qu’il a gentiment signé, grâce auquel je connais la date exacte du début de mon aventure : c’était le 26 mai 2002, à l’occasion du Forum des Langues.
Je me suis empressé de lire le livre, y compris la présentation qu’il contenait sur l’espéranto, et j’ai fait la première leçon d’un cours par correspondance proposé par Espéranto-France. Je n’étais plus aussi enthousiaste lorsque la réponse est venue deux semaines plus tard, et je n’étais plus impliqué dans l’espéranto, jusqu’en octobre, je suis de retour en Grande-Bretagne et j’ai décidé de chercher des informations. J’ai trouvé et suivi des cours offerts par la Ligue d’espéranto pour l’Amérique du Nord, et au début je me suis retrouvé à un petit événement d’espéranto, puis à mon premier congrès national, où j’ai rencontré d’autres jeunes. C’est alors que la relation avec l’espéranto a vraiment commencé.

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Espéranto-Aktiv’ : Quel type de livres traduisez-vous en espéranto ? Y a-t-il des genres de livres que vous privilégiez ?

Tim Owen : Dans le passé, nous étions un éditeur au hasard, et pendant plusieurs années, nous n’avons rien publié. Cela a changé en 2019, lorsque nous avons délibérément commencé à publier des livres pour enfants, en partant du principe que la longueur du livre n’était pas intimidante et qu’il y avait un vide évident sur le marché. Le premier était La Krubalo, en 2019. Nous avons poursuivi en mettant à jour nos précédents Mil Unuaj Vortoj en Esperanto et deux livres écrits par le même auteur et illustrateur qui ont créé La Krubalo : Julia Donaldson et Axel Scheffler. Les deux livres sont Spaco sur la balail’ et La plej eleganta giganto de la urbo. Il est cependant devenu évident que la traduction de textes rimés est chronophage et très difficile. Nous nous sommes donc éloignés des livres écrits par le binôme Donaldson-Scheffler et avons commencé à publier des livres pour enfants sans rimes : 13 en 2022 !
Ayant réalisé que nous avions comblé le vide de ce marché, nous avons décidé d’en attaquer un autre. Le fait est qu’il est difficile de trouver des livres modernes et populaires en espéranto, comme on s’attendrait à en trouver dans une librairie d’aéroport, par exemple. Vous verrez donc désormais une publication moins rapide, car le temps nécessaire pour traduire un roman de 300 pages est évidemment bien plus long que celui nécessaire pour un livre jeunesse.

Espéranto-Aktiv’ : Quelle est la procédure pour sélectionner les livres que vous traduisez en espéranto ?

Tim Owen : Il n’y avait guère de véritable stratégie concernant les livres pour enfants : le but était de publier des livres intéressants, colorés et de bonne qualité, mais je n’étais pas vraiment intéressé par des titres en particulier, après la décision de ne plus traduire les très célèbres comptines de Donaldson-Scheffler. J’ai divers contacts dans l’édition et si un livre plaisait et qu’il était possible de négocier de manière satisfaisante, cela me suffisait.
Pour d’autres livres, il arrivait souvent que j’apprenne l’existence d’une traduction déjà existante que l’on pouvait améliorer afin de publier un livre avec une nouvelle présentation joliment colorée. Edmundo Grimley Evans, par exemple, a fait sa propre traduction de La domo ĉe Pu-Angulo pour l’une de ses filles lorsqu’elle était toute petite : cela nous a donc encouragés à trouver l’intermédiaire avec qui nous pourrions négocier les droits.
Pour les nouveaux romans, l’approche principale est que l’un des membres de notre conseil d’administration, Simone Davis, a créé une liste de titres qui potentiellement intéressants. On y trouvait, par exemple, La kurioza incidento de la hundo en la nokto (roman de l’année en Grande-Bretagne en 2003), que nous avons publié en octobre, Rebecca (de Daphné du Maurier) et Matilda (de Roald Dahl), qui seront traduits par les gagnants du concours de traduction que nous avons lancé en fin d’année 2022.

Espéranto-Aktiv’ : Pouvez-vous nous donner quelques exemples de livres que votre association a traduits récemment et qui ont eu un impact important ?

Tim Owen : Eh bien, tout est relatif en espéranto ! Aucun livre n’a été extrêmement populaire dans le monde et ne laisse derrière lui des étagères vides, mais La Krubalo (2020) et La domo ĉe Pu-Angulo (2022) ont été nommés « livres pour enfants de l’année » aux Belartaj Konkursoj d’UEA. Plus impressionnante encore est notre magnifique édition de La
aventuroj de Alico en Mirlando
, mais les règles sont qu’un éditeur qui a gagné n’est pas autorisé à inscrire de livre l’année suivante, il n’était donc pas possible de postuler de nouveau.
Et n’oublions pas qu’après plus de huit ans de travail d’Edmundo Grimley Evans, nous avons publié l’œuvre poétique intégrale en deux volumes de Marjorie Boulton, Unu animo homa, pour laquelle Edmundo a été nommé espérantiste de l’année fin 2022.
En termes de ventes, je suppose que le tout nouveau La murdo de Roger Ackroyd - un chef d’œuvre d’Agatha Christie - est devenu un hit : environ 50 exemplaires ont été vendus dans les trois semaines suivant son lancement. C’est un chiffre qui n’est pas du tout impressionnant en dehors de l’espéranto, mais assez impressionnant dans le monde de l’espéranto.

Espéranto-Aktiv’ : Comment votre association travaille-t-elle avec les traducteurs pour garantir la qualité de la traduction en espéranto ?

Tim Owen : Nous ne publions aucune traduction sans vérification et correction préalables : Edmundo Grimley Evans est notre arme secrète, et je mets en page les livres uniquement en collaboration avec lui. Dans les premières étapes, les traducteurs ne sont pas obligés de travailler seuls, et les plus sages vérifieront leur texte avec quelqu’un d’autre avant de soumettre une version finale du document. J’ai, par exemple, collaboré avec presque tous les traducteurs de nos livres pour enfants pendant qu’ils travaillaient sur le texte, et parfois je ne suis pas la seule personne à qui ils ont demandé un avis. Je n’ai pas toujours ce rôle : Sten Johansson, par exemple, traduit la célèbre série des Mumin, et consulte Edmundo et Jouko Lindstedt. Tous deux sont beaucoup plus capables que moi pour de telles choses.
Après la mise en page vient la relecture. Encore une fois, Edmundo est l’œil de lynx dont le travail assidu fait qu’un livre publié par EAB n’est pas entaché de fautes de frappe et d’erreurs linguistiques.

Espéranto-Aktiv’ : Comment votre association promeut-elle la lecture de livres en espéranto auprès du grand public ?

Tim Owen : De deux manières, je suppose. Notre principal moyen passe par notre politique de prix : nous ne sommes pas particulièrement intéressés par le profit et maintenons les prix bas pour attirer les lecteurs. Les versions en anglais de certains de nos livres pour enfants coûtent 12,99 £, soit environ 14,50 € ; alors que nous vendons les nôtres pour 5 £. Ce n’est pas nouveau pour nous : nous avons également vendu PMEG 2020 et PIV 2020 sans profit, et mes propres manuels ne rapportent pas un sou à l’EAB.
La deuxième manière - la plus fondamentale - que nous avons récemment adoptée en nous éloignant des livres pour enfants est d’utiliser un système d’édition appelé impression à la demande. En conséquence, nos livres peuvent maintenant être trouvés en dehors du monde de l’espéranto, dans des boutiques en ligne comme Amazon. Il n’est plus nécessaire des passer par la boutique en ligne d’une association d’espéranto pour trouver des livres dans cette langue, ce qui est une bonne chose, car il est presque certain que la majorité des espérantistes actuels ne savent pas que nos livres, vos livres, ceux du FEL ou de l’UEA existent. (Et même si c’est le cas, naviguer sur le Web sur un téléphone n’est pas facile lorsqu’il s’agit de la boutique de ces deux derniers.)
Nous gardons également notre politique de prix pour ceux que nous publions de cette manière. Les revendeurs ont bien sûr le droit de facturer comme ils le souhaitent, mais nous indiquons délibérément que le prix de vente devrait être de 10 £, et en vérifiant sur Amazon, vous verrez que nos livres ne coûtent pas aussi cher que ceux des autres éditeurs de livres en espéranto.

Espéranto-Aktiv’ : Y a-t-il des projets futurs pour votre association et, si oui, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Tim Owen : La chose la plus importante maintenant est de publier des ouvrages modernes adaptés et intéressants pour les adultes, et d’utiliser l’impression à la demande aussi souvent que possible, car cela met non seulement les livres dans ces boutiques en ligne, où les gens cherchent habituellement, mais cela nous aide également à réduire les coûts : il n’est plus nécessaire d’imprimer une grande quantité de livres, qui resteront invendus pendant longtemps. Avec les livres pour enfants, cette façon d’éditer n’était pas possible : ils ont des dimensions inhabituelles, utilisent du papier épais et sont en couleur. En utilisant l’impression à la demande, vous devez acheter les droits et payer divers autres frais pour créer le livre, mais vous n’avez plus à supporter des coûts d’impression élevés d’une montagne de livres avant de vendre un seul exemplaire.
Bien que nous ayons maintenant arrêté de publier des livres pour enfants, il nous en reste quatre en cours d’édition et un est en attente d’impression : nous avons reporté leur publication, car au premier semestre 2023, nous publions déjà régulièrement des romans. Le second semestre sera plus calme, car traduire des romans demande beaucoup de temps, et donc nos livres pour enfants combleront un autre vide !

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Espéranto-Aktiv’ : Enfin, comment les gens peuvent-ils soutenir votre association et contribuer à votre travail de promotion de l’espéranto et de la traduction de livres en espéranto ?

Tim Owen : La plus grande aide est d’acheter les livres. C’est un peu déprimant pour moi d’investir du temps et de l’argent dans l’édition, puis de réaliser qu’à peine un exemplaire a été vendu. Cela s’est produit avec de nombreux livres pour enfants malgré un prix bas, et l’ouvrage en deux volumes de Marjorie Boulton s’est à peine vendu en Grande-Bretagne, malgré le temps et les coûts financiers énormes pour le sortir : seuls 9 exemplaires ont été vendus dans les six mois suivant son lancement, jusqu’à notre récent congrès, au cours duquel nous avons proposé un service de librairie.
Vous pourrez trouver des nouvelles sur nos publications (en espéranto, malgré l’anglais dans le lien) sur : https://esperanto.org.uk/news/publishing. Il est même possible de s’y abonner pour recevoir des nouvelles automatiquement dans avoir à revenir de temps en temps. L’adresse esperanto.org.uk/amazon renvoie à nos livres qui peuvent être achetés sur Amazon (britannique). Il faudra changer .co.uk en .fr pour accéder à la version d’Amazon en français.
Et je n’oublie pas qu’il y a incontestablement des traducteurs de talent en France. S’ils veulent collaborer avec EAB et ainsi voir leur travail dans une belle édition, ils peuvent contacter à tim.owen@esperanto.org.uk.