Traducteur de prix Goncourt
Espéranto-aktiv : Bonjour Jean-Claude, nous t’avions déjà interviewé il y a quelques mois pour le projet poŝtkruciĝo, mais peux-tu te présenter pour nos nouveaux lecteurs ?
Jean-Claude Roy : Relisez le Esperanto Aktiv n° 92 de cet été... Vous aurez certainement envie de participer à cette belle aventure « poŝtkruciĝo »
En ce qui me concerne, vous me connaissez déjà mais je ne vous ai pas encore raconté depuis quand je suis un fervent espérantiste !
Mon aventure a démarré... en 1987 ! J’ai lu par hasard un petit article dans une revue mutualiste qui parlait du centenaire, et dès cette découverte j’ai contacté l’auteur de l’article M. Roger Colney et j’ai tout de suite commencé l’apprentissage par correspondance avec le Cours rationnel complet d’espéranto. Depuis plus de 30 ans mon enthousiasme pour notre langue est resté intact. Je ne regrette qu’une chose : ne pas avoir découvert l’espéranto plus tôt. Ma vie eut été bien différente.
EA : Tu es le traducteur du livre d’Éric Vuillard L’ordre du jour, qui a remporté le prix Goncourt en 2017. Peux-tu nous raconter comment a commencé le projet ?
JCR : Ce projet a commencé ... il y a 3 ou 4 années. Je cherchais un livre à traduire, qui présente un intérêt pour moi et également pour les futurs lecteurs espérantophones. J’en ai lu plusieurs dans cette optique avant de trouver ce prix Goncourt en novembre 2017. J’ai senti que L’Ordre du jour était le bon livre : abordable pour une première traduction, un livre qui porte un message universel, un style intéressant et singulier, bref ce livre selon moi avait le bon profil. J’ai lu les critiques et je me suis mis à traduire le 5 décembre 2017. Tout en traduisant, j’ai contacté Actes Sud, la maison d’édition du livre en français, et différentes personnes en vue de l’édition en espéranto. Et j’ai découvert un article de Espéranto Aktiv qui parlait d’un bouquin édité par Z4 éditions. J’ai contacté Daniel Ziv, le patron, qui a accepté de demander la contractualisation avec Actes Sud. Les démarches pour l’édition ont pu sereinement débuter et j’ai pu me consacrer à la traduction.
EA : Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées lors de la traduction, et combien de temps ce projet t’a pris ?
JCR : La première phase du projet a duré 2 mois et 5 jours précisément, c’est-à-dire du 5 décembre 2017 au 10 février 2018... mais je ne traduisais pas tout le temps !
Après cette première phase, j’ai laissé reposer le texte, d’autant que Daniel Ziv et moi, nous attendions l’assentiment de l’auteur ! Actes Sud était d’accord sur le principe mais a demandé à l’auteur qui a tardé à donner son accord.
Actes Sud a proposé un contrat sympathique à Z4 éditions. Tous les voyants sont passés au vert !
Alors je suis passé à la deuxième phase : j’ai fait travailler mes amis ! : les membres de l’association locale Esperanto 80, qui ont repris le texte en français et en espéranto pour proposer des améliorations, des corrections, voire les fautes de frappe, les erreurs de compréhension, etc. et mon amie russe Nina, qui a fait ce travail également uniquement pour la version en espéranto, étant donné qu’elle ne parle pas français. Nous avons passé des mardis après-midi avec les membres de l’association et des après-midi par Skype avec Nina. J’ai aussi travaillé avec les groupes Facebook Lingva konsultejo et bonalingvo. Travail terminé début juillet 2018 !
Puis vint la troisième phase d’un travail personnel : reprendre de nouveau tout le texte en français et en espéranto et décider de la version définitive (mois de juillet).
Et enfin la dernière phase avec l’éditeur : la présentation, la ponctuation, les notes, le glossaire, tous les ajouts pour finaliser. Travail bouclé le 15 août ! ... Je partais en vacances juste après
Pour les difficultés, c’est assez simple : Tout est compliqué ! Et déjà la compréhension fine du texte en français ! Aussi j’ai beaucoup utilisé le Petit Robert !
De nos jours, la traduction est abordable pour toute personne qui veut s’y mettre, tout simplement parce que nous disposons de nombreux outils. J’ai beaucoup pensé à nos prédécesseurs qui, eux, ne disposaient pas de ces facilités, comme Lydia Zamenhof et sa superbe traduction de Quo Vadis. J’ai beaucoup utilisé le site internet Tekstaro, les dicos, et bien d’autres outils. J’avoue que j’ai galéré surtout pour le chapitre Adiaŭa manĝo en Downing Street pour une raison simple : je n’ai pas aimé ce chapitre ! Dans ce chapitre, l’auteur dépeint à merveille ce repas ennuyeux ! Et l’ennui est très pesant et m’a beaucoup pesé. Objectif de l’auteur atteint ! En revanche j’ai adoré le chapitre Magazeno de rekvizitoj. Et j’avoue que je suis très fier de la traduction de la première phrase de ce chapitre et je vous laisse méditer la phrase en français : « La vérité est dispersée dans toute sorte de poussières » et en espéranto « Vereco estas dise en ĉia polvo » !
EA : As-tu eu des retours de lecteurs ?
JCR : Peu, pour l’instant, hormis le magnifique article de Céline Bernard, directrice de publication de Espéranto info. Son article paraîtra dans le prochain numéro (le n° 135). J’ai reçu également le retour d’un lecteur italien.
Va paraître une recension dans un Monato bientôt. Petit à petit les retours vont arriver.
EA : Quels sont tes futurs projets ?
JCR : Dans notre vaste monde de l’espéranto, ce ne sont pas les projets qui manquent ! J’ai traduit récemment plusieurs articles du journal Le Monde sur des sujets divers qui m’intéressent comme le « coup de gueule » de Leila Slimani, un article sur le réchauffement climatique... J’ai traduit aussi le discours du prix Nobel de la paix Denis Mukwege. J’ai traduit aussi un recueil de poèmes de Jean-Claude Pecker, Lamento, et j’attends des précisions pour une éventuelle édition de ce recueil en espéranto.... Et puis, grosse cerise sur le beau gâteau de l’espéranto, la maison d’édition Actes Sud nous a contactés pour la traduction du prochain livre d’Éric Vuillard, qui paraît en janvier 2019 pour sa version en français... et j’ai accepté de le traduire ! Et la maison d’édition Z4 éditions a accepté de l’éditer ! C’est très porteur pour notre langue, non ?
Pour 2019, je vais un peu voyager dans le monde de l’espéranto ...
EA : Si quelqu’un a adoré un livre et qu’il souhaite le traduire ou le faire traduire en espéranto, aurais-tu des conseils à lui donner ?
JCR : À titre personnel, il y a un livre très triste mais admirable que je vais traduire (mais pas tout de suite). Il s’intitule Aucun de nous ne reviendra, de Charlotte Delbo.
Je ne conseille pas de « faire traduire » mais de traduire, oui !
Avant de traduire soi-même, je pense qu’il faut avant tout suffisamment « sentir » la langue espéranto. Je veux dire par là : savoir apprécier la littérature espérantiste, c’est à dire éprouver des émotions littéraires en lisant tel livre ou tel autre. Ces émotions peuvent être très diverses, comme par exemple : aimer un livre pour son sujet, mais ne pas l’apprécier pour son style (par exemple pour moi Metropoliteno de Varankin), ne pas aimer un roman (par exemple, je n’ai pas aimé le livre de Eli Urbanova, Hetajro dancas, mais j’aime les poèmes de Eli). Et puis il y a tous ces livres que j’ai beaucoup aimés comme Dek tagoj de kapitano Postnikov de Mikaelo Bronŝtejn, etc.
Avant de traduire, il faut lire et savoir apprécier ! J’invite les prochains traducteurs à s’inscrire dans la démarche de lecture transnationale SUMOO. Pendant les lectures, le lecteur pourra repérer toutes les phrases utiles, les usages des prépositions, les tournures élégantes, etc.
Pour la traduction, comme déjà dit, nous disposons de beaucoup d’outils qui facilitent ; néanmoins cela demande beaucoup de travail, mais cela permet aussi de s’améliorer dans la langue. Suite à toutes les lectures faites, le traducteur sait ce qui lui convient et ce qui ne lui convient pas, ce qu’il va vouloir reproduire comme style.
Et puis, bien sûr, il faut demander conseil aux espérantistes connus et sur les sites facebook évoqués ci-dessus.
Bref, un beau travail, très utile pour la langue j’en suis certain !
Un seul mot en conclusion : « Antaŭen ! ». Allez-y, c’est permis
Très amicalement