Robin, illustrateur-graphiste et espérantiste
Esperanto-Aktiv n° 115 - septembre 2020
Esperanto Aktiv’ : Bonjour Robin, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Robin : Si on se définit souvent en premier lieu par sa profession, parfois à tort, dans mon cas, c’est assez justifié, puisque mon métier d’illustrateur-graphiste se confond avec un réel intérêt pour le dessin, qui occupe une large part de ma vie. Touche à tout, je suis aussi attiré par la création artistique dans un sens bien plus vaste : enfant j’avais fait de la céramique pendant 6 ans, aujourd’hui je m’initie au montage vidéo et à l’animation, j’écris et participe à des scènes slam... En outre, mes intérêts combinés pour les langues, la calligraphie et mon esprit créatif m’ont amené à créer mon propre système d’écriture dont je me sers au quotidien pour prendre des notes personnelles, « indéchiffrables » par autrui !
Cherchant à donner du sens à mon travail, je m’engage souvent auprès de causes qui me sont chères (écologie, justice sociale... et espéranto, bien entendu !)
Amoureux de la nature et sportif, je trouve souvent mon inspiration lors de balades à pied ou à vélo.
EA : Peux-tu nous dire quand et comment tu as découvert l’espéranto ?
Robin : Dans mon enfance, mes parents m’avaient vaguement parlé d’espéranto à de rares occasions, mais sans en avoir vraiment saisi le concept (j’ai appris plus tard qu’un arrière-grand-père était espérantiste). C’est plutôt un sentiment d’injustice qui a été l’élément déclencheur me menant vers la découverte de la langue internationale. Adolescent, j’étais déjà choqué par l’inégale représentation des langues étrangères (la plupart des tubes à la radio étaient en anglais, langue omniprésente aussi dans la publicité, parmi les néologismes et termes « branchés », la culture anglo-américaine dominait largement à travers les films, séries...). J’avais plus d’affinités pour d’autres langues, comme l’espagnol, le russe, l’italien… dont les sonorités me plaisaient davantage ; il me semblait injuste qu’elles soient si peu représentées dans les médias.
D’autres expériences ont conforté ce sentiment : à 15 ans, un voyage au Québec m’a fait prendre conscience de la situation précaire de la francophonie en Amérique du Nord (une partie de ma famille, du côté de ma grand-mère libano-égyptienne, est partie s’installer là-bas) ; puis, à 17 ans, en apprenant l’italien en autodidacte (j’étais en relation avec une copine bilingue, franco-italienne), je me suis aperçu que la langue de Dante était également truffée d’anglicismes récents, qui selon moi dénaturaient sa beauté, sa singularité.
C’est en 2005 sur la toile, dans un forum à propos des langues et de la domination de l’anglais, que j’ai lu un message vantant les mérites de l’espéranto pour préserver la diversité linguistique face à la menace des langues hégémoniques. Conquis par l’argument, j’ai fait des recherches sur la langue dont le concept m’a vite séduit. Mais ce n’est que fin 2007 (ou début 2008) que je me suis réellement mis à son apprentissage, à travers le site ikurso qui propose des cours corrigés par des professeurs volontaires, puis à travers le cours en ligne basé sur le roman Gerda Malaperis.
EA : Peux-tu nous parler des différents projets que tu as faits pour l’espéranto ?
Robin : En 2009, en hommage au 150e anniversaire de naissance de L. Zamenhof, le créateur de l’espéranto, j’avais publié un dessin sur mon blog, un baroudeur avec un sac à dos énorme parlant espéranto (le baroudeur, pas le sac à dos). Par la suite, j’ai offert ce dessin à Espéranto-France, qui s’en est servi pour illustrer le petit calendrier 2012. L’année suivante, l’association m’a recontacté pour illustrer le nouveau « kalendareto » et ainsi est né un partenariat fructueux s’inscrivant dans le temps.
En 2017, dans le cadre de ce partenariat, j’ai illustré la nouvelle version du manuel d’apprentissage Metodo 11, paru en janvier 2018.
Un an après, en 2019, M. Dieumegard, président du parti EDE (Europe Démocratie Espéranto) qui œuvre pour la promotion de l’espéranto sur le plan politique, m’a proposé d’illustrer des affiches pour leur campagne aux élections européennes. J’en ai réalisé trois. L’une d’elles, dont j’avais proposé l’idée, avait fait polémique : elle plaisait beaucoup à certaines personnes, bien moins à d’autres. Au final elle n’a pas été retenue en tant qu’affiche officielle, car, comme elle faisait référence au film Le Seigneur des Anneaux, l’équipe d’EDE a craint d’avoir des problèmes juridiques avec les ayants droit. C’est une autre de mes affiches qui a finalement été sélectionnée, celle-ci représentait deux ponts : l’un, chaotique, signifiait la politique actuelle de l’Europe en matière de langues, l’autre, aux fondations solides et structurées, symbolisait l’Europe ayant choisi l’espéranto en tant que « langue-pont » pour la communication internationale.
Au début de cette année, j’ai créé une page sur Instagram où je publie exclusivement en espéranto : ESPERARTO.
EA : Peux-tu nous expliquer un peu comment tu travailles ?
Robin : Comme je l’ai mentionné plus haut, je trouve souvent mes idées au cours de balades dans la nature, mais il peut s’agir aussi de n’importe quel autre moment où je laisse mon esprit vagabonder çà et là (parfois même pendant le sommeil). Quand je tiens une idée, il vaut mieux que je la griffonne rapidement sur papier, pour qu’elle se concrétise en processus créatif et éviter qu’elle ne s’envole au pays de l’oubli ! Ensuite, sur papier brouillon, je complète et retravaille l’idée de départ jusqu’à ce que je sois à peu près satisfait. S’il s’agit d’une commande, c’est à ce moment-là que j’envoie le ou les crayonné(s) au client pour validation. Si l’esquisse lui plait, je peux alors passer aux étapes suivantes.
Pour l’encrage, j’affectionne beaucoup les crayons aquarellables, les stylos-feutres fins et le pinceau à réserve d’encre de Chine. Pour finir, je peaufine les couleurs, les ambiances et effets de lumière sur ordinateur (de plus en plus, je m’arrange pour en faire le maximum sur papier et que cette étape ne soit pas chronophage pour éviter de passer trop de temps derrière un écran).
Comment vois-tu le mouvement espérantiste dans 10 ans ?
Robin : L’avenir du mouvement espérantiste, c’est la grande inconnue ! Il est d’autant plus incertain depuis l’avènement d’internet : grâce à ce nouvel outil de partage et de diffusion d’idées, le mouvement espérantiste pourrait tout à fait se propager de façon exponentielle au cours de la prochaine décennie, mais il pourrait tout aussi bien stagner voire tomber peu à peu en désuétude.
En fait, tout dépendra de l’efficacité de la stratégie mise en place pour assurer sa promotion et sa diffusion… et du facteur chance ! Parfois, il suffit qu’une personnalité influente parle d’un sujet, et en parle bien, pour que le sujet gagne en popularité. Dans le cas de l’espéranto, des youtubeurs assez connus et suivis par une large communauté en ont déjà parlé (Poisson Fécond, Linguisticae…), il faudrait que de telles initiatives se multiplient pour que l’espéranto se popularise auprès du grand public.
Mais ce n’est pas tout : avoir entendu parler d’un sujet, c’est une étape, mais encore faut-il être suffisamment motivé pour passer à l’action, por lerni kaj ekparoli Esperanton ! Le drame, c’est que dans l’inconscient collectif du grand public, l’apprentissage d’une langue est quelque chose de pénible et rébarbatif, ou tout du moins de peu intéressant, qui ne s’intègre pas dans la catégorie « loisirs ». C’est en grande partie imputable au système scolaire, qui fait rimer apprentissage des langues avec contrainte. Or on n’apprend bien que quand on est motivé, et malheureusement l’école a bien plus souvent tendance à démotiver les élèves qu’à leur insuffler le désir d’apprendre ! C’est en apprenant l’italien par moi-même étant ado, que j’ai eu la chance de découvrir le plaisir que pouvait nous procurer l’apprentissage d’une langue étrangère : parler la langue est ainsi devenu son propre enjeu, et non plus la volonté d’avoir de bonnes notes sur le bulletin scolaire (mais cette chance n’a pas été donnée à tout le monde).
D’autres sources de motivation pour l’étude postscolaire des langues sont le côté pratique (carrière professionnelle, voyages…) et l’aspect émotionnel que peut nous procurer la culture d’une langue donnée. Pour que le mouvement espérantiste se développe efficacement d’ici 10 ans, s’orienter vers l’aspect « professionnel » serait prématuré, il nous reste alors l’aspect « voyage » pour lequel l’espéranto se défend bien (argument de la langue facile parlée sur les 5 continents) et l’aspect culturel, que nous devrions développer bien au-delà du corpus espérantiste actuel, pour le rendre réellement dynamique et attrayant (en multipliant musiques, vidéos, films ou courts-métrages, livres, « mèmes » illustrés sur internet…).
En outre, l’aspect « éthique », « équitable », « altermondialiste », « langue alternative porteuse de belles valeurs » (pacifisme, tolérance, respect et protection des diversités linguistique et culturelle) est important à mettre en avant. Ce côté plus « politisé » déplait à certains espérantistes qui préfèrent s’en tenir au simple « outil linguistique », mais pour ma part, c’est essentiellement ce dernier aspect qui m’a séduit dans l’espéranto.
Pour conclure, admettons qu’en termes d’attractivité culturelle, nous sommes loin, très loin derrière celle exercée par l’industrie culturelle anglo-américaine qui dispose de moyens financiers titanesques. Mais si la légende veut que David ait remporté la bataille face à Goliath, qui sait, peut-être qu’en 2030 Espéranto remportera la « bataille d’influence » face à Globish ! Gardons espoir… Ni gardu esperon… Ni gardu Esperanton !
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