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« Tramonte travale pro l’ fairo » de J.H. Rosny Aîné (La Guerre du feu), traduit par André Albault

Esperanto Aktiv n° 49 - juillet-août 2014

Le titre est très évocateur, puisqu’il s’agit non à proprement parler d’une guerre, mais d’une expédition de trois hommes préhistoriques pour retrouver le feu qui s’est éteint dans leur tribu. Cependant le « i » à la place du « j » de fajro éveille notre curiosité, ce que confirme le sous-titre, Romano de l’ truchai epokoi. Bien sûr, je connais de réputation le traducteur, André Albault, et je savais qu’il s’était fait beaucoup d’ennemis en défendant son « alphabet rationnel » (Ralfa) mais je n’avais lu de lui que des articles dans la revue La Gazeto. J’ai découvert qu’il ne s’agissait pas seulement du changement de quelques lettres pour éviter les fameuses « lettres à chapeau » de l’espéranto mais de l’élaboration complexe de tout un système. La lecture du roman ainsi travesti s’est tout de même révélée facile pour moi, et j’ai lu aussi avec plaisir l’important appendice en fin d’ouvrage (pages 287 à 370 !).
Le glossaire est spécialement intéressant. André Albault nous explique comment il s’y est pris pour créer de nouveaux mots n’existant pas encore ou plus en espéranto (la description de la faune et de la flore, par exemple, est très riche). Il se réfère à la nomenclature botanique ou zoologique internationale et signale si le mot apparaissait déjà dans d’anciens dictionnaires d’espéranto comme celui de Verax.
« Aŭrokso : sinonimo de uro konkurence uzata en la teksto, sed tie aŭrokso nomas pli freŝdatan varietaton – Verax. – A. F. H. aurochs, P. auroque, G. auerochs, D. urokse, S. uroxe… Rimarko : tiu novismo pli oportunas, precipe en la ina formo. (A. = en la angla lingvo, ktp). Ĉu ne temis pri la sinteno de Zamnenhof ? »
Il a eu recours à l’apocope (koraŭ pour ankoraŭ), à la création de mots (omno, omnu, omnam… mais seulement dans le dialecte des nomades, pour ĉio, ĉiu, ĉiam) en partant du postulat que le bon espérantiste sait lire les alphabets grec et cyrillique, ce dont Kersaudy nous a, il est vrai, convaincus. Sommes-nous devant un nouveau Karolo Piĉ, qui a créé beaucoup de néologismes dont peu sont passés dans la langue ?
J’ai beaucoup aimé La Litomiŝla Tombejo, mais il m’a fallu au moins cinquante pages pour lire l’œuvre aisément. Rien de tel ici. Je me suis plongée avec plaisir dans des dictionnaires de 1909, 1910, 1911 achetés en brocante (Boirac, Verax, Kabé) auxquels l’auteur se réfère, mais j’aurais tout aussi bien compris sans les sortir de leur étagère. J’ai beaucoup aimé les descriptions subtiles de la savane, des combats des animaux aux points d’eau pour leur survie. Quelle belle évocation des temps préhistoriques quand la chasse et l’art d’échapper aux bêtes féroces occupaient le plus clair des jours et la profondeur des nuits. Poésie étrange, en même temps pleine de trouvailles que cette traduction, morceau de bravoure incontestable, exercice de style qui a demandé des années, mais qui semble bien gratuit.
Cette lecture, récréative et instructive, reste un plaisir pour curieux mais ne peut concerner à mon avis que ceux qui sont à l’aise dans la langue et refusent la polémique. Mieux vaut ne pas en « faire perdre leur latin » aux débutants.

Anne Jausions