français

Découverte

Pasporta Servo

Esperanto-Aktiv’ n° 69 – mai 2016

Pasporta servo : qu’es aquo ?

C’est un réseau d’hospitalité entre espérantophones qui, depuis sa création en 1974, fonctionne sous la responsabilité de TEJO (…). Ce service a été modernisé en 2008 par la création du site http://www.pasportaservo.org/, où vous pouvez vous inscrire comme hébergeur et/ou utilisateur.

Mais notre ami brésilien Ro Sartoro, dans son blog http://esperantorondo.blogspot.com.ar/2016/04/1966-2016-pasporta-servo-datrevenas.html nous fait remarquer qu’en réalité le Pasporta Servo n’est pas né en 1974, mais en 1966, et c’est donc son 50e anniversaire que nous fêtons cette année ! « Pasporta Servo a fonctionné sous l’égide de TEJO en 1974, après que le jeune Dr. Ruben Feldman-Gonzalez a créé le service sous le nom Programo Pasporto en 1966 en Argentine, puis l’a transmis au président d’alors de TEJO, le Dr. Humphrey Tonkin. ».

En l’honneur de ce cinquantenaire, voici un texte de Jean-Louis Pagès, extrait de Voyager presque gratuit, Guide des réseaux d’hospitalité, par Jean-Yves Hégron et Jean-Louis Pagès, Edition Solilang, Limoges, 2009.

Jeanne-Marie la pionnière

« Ce service répond à un souci social, à une époque où le tourisme classique reste en dehors des possibilités financières de la plupart ; les moyens de transport du fait de la crise énergétique resteront sûrement chers pour longtemps et risquent même de continuer à augmenter. »
Jeanne-Marie Liouville en 1973

Jeanne-Marie et son amie japonaise Shoko à Paris en 1973 :

Jeanne-Marie et son amie japonaise à Paris en 1973.

Le Pasporta servo ou « Service passeport » date du début des années soixante-dix, et doit tout à la ténacité de Jeanne-Marie alors vice-présidente de TEJO, l’organisation des jeunes espérantistes.

La vocation de Jeanne-Marie à porter le Pasporta Servo sur les fonts baptismaux est née d’un curieux jeu de circonstances.

La jeune fille d’une vingtaine d’années assistait en 1965 à son premier congrès mondial d’espéranto qui se tenait à Tokyo, où elle avait réservé une auberge de jeunesse. Des délégués et des membres du mouvement de tous les pays convergeaient alors vers la capitale nippone et certains avaient des amis japonais qui étaient prêts à les accueillir chez eux. Au cours d’une conversation à table, une jeune Japonaise expliquait qu’une de ses amies, déçue de n’avoir pu recevoir sa correspondante étrangère, qui avait dû annuler son voyage, souhaitait héberger une autre congressiste.

Jeanne-Marie accepta tout de go de remplacer la correspondante défaillante et de loger chez cette habitante si hospitalière. Elle annula immédiatement sa réservation à l’auberge de jeunesse et fit ainsi le premier « tatami-surfing » de l’histoire. Les choses se passèrent si bien qu’elle demeura plusieurs jours ans la petite chambre de Tokyo, partageant la vie de son hôtesse dès qu’elles étaient rentrées des réunions et ateliers du congrès. La connaissance de la même langue internationale, l’espéranto, était un atout de plus, qui permit à Jeanne-Marie de faire d’étonnantes découvertes sur la vie quotidienne d’un pays alors totalement inconnu, lointain et énigmatique aux yeux d’une jeune Française.

Enhardie par cette expérience, elle passa plusieurs semaines dans le pays, logeant chez l’habitant grâce au dense réseau d’espérantistes, et rentra enchantée de sa visite sur l’île du soleil levant.

Le déclic

Sur l’initiative d’un membre argentin [Ruben Feldman-Gonzales], des essais avaient été faits à partir de 1966 pour mettre sur pied un réseau d’hébergement pour espérantistes, mais sans beaucoup de succès. Le jour où Jeanne-Marie est devenue une responsable de TEJO, elle se souvint de son expérience de 1965 et eut alors le déclic : il fallait provoquer un engrenage de la confiance de la même nature que celle qu’elle avait manifestée en acceptant d’être accueillie par une inconnue, et qu’avait eu cette dernière en l’invitant.

Elle décida alors de prendre les choses en mains et de faire du service d’hospitalité espérantiste un succès qui prouverait concrètement l’efficacité de communication de l’espéranto et la qualité humaine de ses pratiquants. Ses atouts étaient non négligeables : le mouvement dispose de plusieurs annuaires de délégués répartis sur toute la planète capables de servir de relais efficaces, voire de conseiller les hôtes ; les revues sont nombreuses et diffusées partout dans le monde : elle réussit à faire des campagnes de publicité gratuites dans les revues du mouvement. Son Pasporta Servo était lancé.

Finis les démarches pénibles et les programmes verrouillés, le principe était génialement simple : toute personne désirant offrir le gîte (le couvert était optionnel, voire payant) pour une ou quelques nuitées le signalait à son délégué, et figurait alors sur un recueil d’adresses en espéranto, que chacun pouvait acheter ensuite auprès de l’organisation.

Jeanne-Marie soumit ce schéma simple de fonctionnement au congrès de TEJO de 1973 qui se tenait à Sarajevo et il fut approuvé avec enthousiasme. Le premier annuaire ne contenait que 44 adresses réparties sur une vingtaine de pays, mais le bouche-à-oreille, et les conférences des voyageurs qui utilisaient le Pasporta Servo lui assurèrent un succès rapide qui lui fit atteindre en peu d’années le millier d’adresses dans une centaine de pays.

Jeanne-Marie continua à faire tourner le service pendant une dizaine d’années, maintenant les coûts les plus bas possible. Le prix du service pour les usagers se réduisait à l’achat de l’annuaire (pièce maîtresse du dispositif) [imprimé à l’imprimerie militante Gilles Tautin à Paris], fixé au prix dérisoire d’un dollar. L’annuaire était en outre distribué gratuitement aux accueillants.

À partir de 1982, TEJO reprit la gestion du Pasporta Servo, qu’il a conservée jusqu’à aujourd’hui. En attendant la relève de l’Internet.

Pour sa part, Jeanne-Marie continue de voyager, et son dernier périple l’a conduite en Chine, uniquement chez des espérantistes.

Consignes simples

De même que Zamenhof avait voulu que les seize règles de sa grammaire tiennent sur une seule feuille, les consignes aux gastoj et gastigantoj sont ainsi résumées sur le dos de la brochure

  1. Le Pasporta Servo est un service non lucratif à la disposition de tous ceux qui en acquittent la cotisation.
  2. Bien qu’il fonctionne dans le cadre de TEJO, le service doit demeurer financièrement équilibré.
  3. Le service publie chaque année une brochure contenant la liste des adresses des hôtes (gastigantoj). La brochure est remise lors du paiement de la cotisation.
  4. Les offres d’hébergement, enregistrées selon un ordre géographique dans la brochure, doivent comprendre les informations suivantes :
    Ce qui est mis à disposition : lit ou chambre.
    Nom et adresse complète, avec mention de la distance à la ville la plus proche.
    Le nombre maximal d’invités simultanés.
    Le nombre maximal de nuitées.
    Les limites d’âge (éventuellement)
    La période de validité de l’offre.
  5. Le demandeur d’hospitalité commence par contacter la personne chez laquelle il désirerait être hébergé, et se met d’accord avec elle sur les conditions de séjour (durée, confort, remboursement éventuel des frais de bouche…)
  6. Le service ne peut être tenu responsable :
    a ) d’une différence éventuelle entre les informations publiées et les conditions effectives du séjour ;
    b ) des problèmes occasionnés par l’arrivée sur les lieux de l’invité sans avoir contacté auparavant les hébergeurs, ou avant de recevoir la réponse de ces derniers.

Prémonitions

Toutes les problématiques des sites modernes d’échange d’hospitalité étaient déjà adressées par ces documents précurseurs :

Les problèmes de sécurité sur l’identité des hôtes grâce à la brochure individualisée.

Le remplissage du profil de l’hôte où il indique ses souhaits et les caractéristiques de l’hébergement.

Le feed-back (qui correspond aux actuels commentaires) qui était réalisé après le voyage.

L’importance accordée au contact entre l’hôte et son invité, facilité alors par l’amour à une langue commune, qui fournissait alors des conditions suffisantes pour instaurer la confiance : le sujet de conversation était dès lors tout trouvé, puisqu’il mettait en présence des militants convaincus, qui s’émerveillaient toujours de communiquer avec autant d’aisance.

Les règles de courtoisie et les accords préalables entre hôte et invité sur les conditions du séjour.

En 1974, la conscience aiguë des crises à venir, née de l’impact des premiers chocs pétroliers ; le sentiment d’une demande de plus en plus forte des jeunes générations à traverser les frontières pour aller à la rencontre des autres, sans avoir les moyens financiers de répondre à cette aspiration ; au-delà de la démonstration de la facilité qu’offre l’espéranto à communiquer, sont ici explicitées les raisons profondes de la création du Pasporta Servo.

Le livre Voyager presque gratuit, Guide des réseaux d’hospitalité, de Jean-Yves Hégron et Jean-Louis Pagès, a été édité par Solilang (Limoges) en 2009.